Dans le crépuscule écorché d’un boulevard de stars naissantes, au beau milieu des désillusions et des rivalités, dans un théâtre nappé de l’intelligence qui définit Joseph L. Mankiewicz, All About Eve est noté comme l’une des ses oeuvres majeures, autant que l’un des plus grands films jamais réalisés dans lequel une Betty Davis vieillissante se laisse porter par un discours de vipère qu’est celui de cette jeune femme, Ève, jolie et innocente, dont le visage masque l’ambition.
Observation du temps qui passe, cynique envers du décor, film sur un point de vue, film sur des regards, sur la rivalité féminine, All About Eve est une mise en abyme non moins ludique, rendue exceptionnelle par son intrigue plurielle autant que sa beauté qui touche à la sensibilité, déformant les contradictions. D’une habilité scénaristique pour laquelle les mots semblent ne plus suffire, la lucidité du film nous fait autant savourer sa singularité, qu’il partage avec celle de son réalisateur, Joseph L. Mankiewicz, qui déploie ici un ar(t)senal d’une intelligence virevoltante. Car ses particularités récurrentes reviennent plus que jamais dans All About Eve , entre l’utilisation de la voix off qui dès le départ s’adresse au spectateur, les flash back d’une grande élégance et une atmosphère délicieusement cynique. Dressant ainsi son film comme une certaine satire, celle d’une Amérique arriviste et paranoïaque, qui craint sa perte inévitable. Reflet d’un éphémère bonheur qui au final se révèle comme une simple illusion, marquée par les interprétations hors pairs d’un casting qui lui reflète le bonheur : celui de voir Betty Davis donner la réplique à Marilyn Monroe.
Construit d’une façon étonnamment fluide, All About Eve tisse immédiatement un lien entre les images et le spectateur, notamment à travers la cohérence chronologique déployée par un immense bol d’air. Le film reste relativement complexe, mais se laisse digérer avec une tranquillité presque impardonnable. C’est, avant tout, une enquête, celle qui se concentre sur le personnage d’Ève, dont l’ambiguité n’a rien à envier à la douceur apparente. Patience et progression sont de rigueur, Mankiewicz nous fait accéder à l’être derrière les apparences. Ève se trouve un chemin dans le monde du théâtre, se fait belle amie mais au final son masque tombe, dévoilant une femme obsédée par les ovations et la scène, son feu et ses larmes.
La douce subtilité du verbe est employée avec un ton fabuleux, à voir cette mélancolique Betty Davis qui hurle sa souffrance en vain. Convoquée par les souvenirs, s’envole ainsi une certaine ironie, inspectée elle même par le microscope Mankiewicz, quand la doublure devient un double, et que cela recommence ainsi. Car dans ce majestueux final, on voit Ève de nos propres yeux, pas celle qui se déguise sous un rôle mensonger, ici elle est détachée, seule et loin des ragots, elle même dénuée de coeur, elle a un nouvel objet à construire.
To be continued…
KiwiKarma lui attribue la note de :
En bref
Archétype du cinéma si singulier de Joseph L. Mankiewicz, reflet de la rivalité féminine, chute doublée d’une ascension… All About Eve explore un minimalisme suffisant pour analyser magnifiquement le milieu du théâtre, ainsi que ceux qui le compose : ceux qui sont derrière le rideau, qui pleurent leur destin brisé.
To be continued…