[Critique Film] – Drive

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Si le cinéma de Nicolas Winding Refn était une montagne, Drive en serait l’acmé. Classique instantané imposant dès sa sortie de nouveaux standards, Drive apporte au genre du policier une chose qui lui manquait sadiquement : l’expérimentation et l’esthétisation. Une expérimentation qui ne va pas dans le sens de la complexité, bien au contraire. Petit coup d’œil dans le rétroviseur : en 1981 sort Le Solitaire de Michael Mann, premier opus d’une quadrilogie à laquelle se joignent Heat en 1995, Collatéral en 2004 et Miami Vice : deux flics à Miami en 2005. Quatre films mettant en exergue des histoires minimalistes et usuelles, mais tellement allongées sur leur durée qu’elles finissent par toucher à l’abstraction. Chez Nicolas Winding Refn, cette même abstraction vient de la précision chirurgicale de l’image, développant, à l’instar de Michael Mann, un gout prononcé pour les questions existentielles et le brouillage de l’intellection au profit des sensations et du cadrage du temps. La simplicité vient alors plus de la matière visuelle que de l’école narrative, chose très rocambolesque en sachant que l’on parle d’un polar d’action au filmage homogène.

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Live and drive in L.A.

Conte social flanqué d’une lucidité et d’une plasticité sidérante, Drive immortalise une partie d’échecs aux enjeux existentiels. Dès les premières minutes, un générique hypnotique et artisanal vient galvauder la rétine et les tympans du spectateur, lui présentant un personnage quidam, comédien du vide ontologique de la société contemporaine. Absorbé d’inspiration, Nicolas Winding Refn nourri un film magnétique jouant sur les schémas émotionnels. D’un point de vue uniquement esthétique, technique et pictural, Drive pourrait suffire à constituer un almanach à part entière : longs travellings, jeux d’ombres et de lumières, ralentis placés avec gout, une composition de chaque plan dextrement étudiée ainsi que des placements musicaux séducteurs. Une virtuosité mise au service d’une virée nerveuse filmée au cordeaux, voire à l’épure.

Ascension mélancolique, Drive repose sur un échafaud sensoriel dantesque pénétrant les coeurs, s’imposant ainsi naturellement. Mutisme violent, opéra sanglant, le film, avec douceur et douleur, pulse son spectateur, polarisant les émotions, passant ici à travers les non-dis. Très littéraire derrière la caméra, Refn ose retourner à sa façon le road movie pour en faire une odyssée violente dans laquelle rouler signifie songer. Le « driver », incarné avec carrure par Ryan Gosling, est un personnage empreint d’une double vie. L’une empaumée : jeune garagiste et cascadeur occasionnel pour le cinéma. L’autre plus sibylline, celle d’un pilote d’automobile surdoué, exploité par la mafia pour des opérations nuiteuses à haut risque. Mutique, le personnage est en permanence isolé par les choix de cadrage : rares sont les séquences où il apparait sur le même plan que d’autres protagonistes. Les sentiments sont donc intériorisés à l’extrême,  tandis que sa solitude est accentuée, comme si il s’agissait d’un samouraï.

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Sill N.W.R.

Caressant réalité et fiction, Drive (comme souvent avec son réalisateur) prend un virage serré dans sa seconde partie. D’un simple quiproquo, s’engendre une cascade de violence fortuite et une tension stoïcienne. Car non, même si Refn réalise ici son film le plus sobre, il n’a pas changé pour autant. Certaines séquences sont d’une violence aride, transformant le film en poésie sanguinaire atteignant l’archétype de l’élan romanesque. Sous un masque renvoyant à la mise en abime de son personnage, Ryan Gosling cherche une identité à un homme sans histoire, un spectre dont les larmes lourdes se déversent sur l’asphalte, voyant la lueur de la rédemption s’éteindre.

Il est clair que Nicolas Winding Refn se converti ici à un cinéma plus perceptible et traitable, voir commercial (il ne faut pas oublier qu’il effectue avec Drive une commande). Mais le réalisateur danois, avec déjà la trilogie Pusher, Bronson et de nombreux autres films violents et peu accessible  à son actif, garde son empreinte, lui permettant de s’épanouir sous les yeux d’un public plus large encore. L’aplomb du réalisateur se manifeste lors de chaque scène, mélangeant sauce pulp et limonade gendelettre. Dans quasiment tous ses films, Nicolas Winding Refn se place le plus près possible de ses personnages, au point de leur ressembler. À regarder « Drive » aujourd’hui, il est facile de déterminer une accointance entre le personnage du « driver » et Refn lui-même. Silhouette fantomale et mutique, tout juste débarqué à L.A, serpentant entre les buildings, doué d’une adresse surnaturelle. Ce personnage cristallise le parcours personnel de Refn, qui n’hésite parfois pas à mettre sa famille en danger pour conclure ses projets, accouchés dans la douleur.

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Kiwi- lui attribue la note de :
10/10

En bref

Tournant le dos à la facilité pour épouser le crépuscule, percutant la vastitude visuelle en même temps qu’un intimisme transgressif, Drive ressemble à l’archétype du cinéma des années 2010. Pourtant, chaque grain de pellicule transpire la classe. Pour moi, dire que ce film est un chef-d’œuvre est un euphémisme. Il s’agit d’une révolution générationnelle, d’un pur film de genre, précis jusqu’à l’abstraction, et réalisé par un artiste de nos jours aussi révocable qu’indélébile. Douceur et force. Ténèbres et clartés. Mélancolie et menace. Quand le silence se tait…

Boyen LaBuée

Né un peu avant la sortie du film "Matrix"

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