Plusieurs évidences se dégagent de Elle et la première d’entre elles est bien évidemment le choix du réalisateur Paul Verhoeven. Après 10 ans sans véritable film, si l’on excepte bien sûr le téléfilm Tricked sorti en 2012, le hollandais violent est de retour sur le devant de la scène grâce au producteur Saïd Ben Saïd qui avait déjà produit des réalisateurs comme De Palma ou Cronenberg.
L’évidence du choix de Verhoeven apparaît dès qu’on lit le roman de Phillipe Djian. Son livre est une plongée immersive dans la vie de Michèle, une femme venant d’être violée et qui cherche à garder un semblant de contrôle sur ce qui lui est arrivé, elle essaye de garder les choses en mains, notamment par rapport à tout ce qui gravite au tour, entre un passé extrêmement sombre, une mère à la libido très active, une relation extra-conjugale avec le mari de sa meilleure amie ou encore un fils se faisant mené par le bout du nez par une jeune femme enceinte. Quant on connaît l’amour de Verhoeven vis à vis des femmes, ainsi que son penchant pour la subversion, on est donc pas étonné de le voir au manette de l’adaptation de Oh… sorti en 2012.
Elle est particulièrement fascinant dans son côté « film français », de par son esthétique, ses personnages et les relations qu’ils entretiennent ainsi que certaines séquences (comme celle du dîner de Noël). Mais à tous ces emprunts français, Verhoeven y ajoute sa patte pleine de second degré tout en offrant des scènes crues et outrancières dont il a le secret. Cela s’observe dans les dialogues dans un premier temps, particulièrement cinglants et cyniques et relevés parfois d’un peu d’humour noir. Les personnages sont également exagérés entre la voisine catholique, l’amant forceur, le fils exemple parfait du grand dadet ou encore le gigolo fiancé de la maman, les interactions entre ces personnages, et notamment avec Michèle, provoquent très souvent un petit rire. Le jeu de séduction auquel joue Michèle et son voisin Patrick est rempli d’ambiguïté, flirtant même avec le kitsch lors de la séquence de fermeture des volets. Les moments chocs ponctuent également le long-métrage, entre orgasme accompagné d’une illumination de guirlande, rappelant le penchant pour le grandiloquent dont fait preuve Verhoeven, ou les scènes de viol beaucoup plus violentes et qui dénote véritablement avec le reste du long-métrage à l’ambiance parfois légère. Les scènes d’agression, et notamment la première qui sera reprise à plusieurs moments, sont d’un réalisme parfois insoutenable rappelant les horreurs déjà observées dans Spetters ou Showgirls. Il est au final assez difficile de se poser sur le genre de Elle, Verhoeven s’amusant des codes du cinéma français pour en faire un film sur une femme cherchant à garder la face devant tous les problèmes qui lui tombent dessus, de cette agression, à la mort des parents, de son ex refaisant sa vie avec une jeunette, et surtout son fils qui se fait couillonner par une petite chieuse.
Une fois n’est pas coutume avec Verhoeven, ce sont les femmes qui sont les personnages les plus forts : on a bien sûr Michèle, sur laquelle on reviendra plus tard, mais également sa mère, qui est au final la seule a véritablement réussir à tenir tête à Michèle, et également Josie, traitant Vincent comme un petit larbin. Les hommes sont loin d’avoir un beau rôle, sont guidés par l’égoïsme, au travers du sexe comme c’est le cas bien sûr de l’agresseur, mais également de Robert l’amant, de la réussite pour l’ex-mari, ou l’argent pour Ralph.
On en vient alors à l’autre grande évidence de ce film, ce choix d’Isabelle Huppert pour le rôle titre. C’est un choix logique et diablement efficace, Isabelle Huppert, campe à merveille cette femme bourgeoise un peu hautaine gardant un certain contrôle sur son environnement. Le film fait à ce point penser dans une certaine mesure à La Pianiste de Haneke, les deux personnages campés par Huppert plutôt similaires, deux bourgeoises se faisant happer par un fantasme malsain, ayant parfois des allures punitives. Si le film de Haneke est bien plus froid, il n’en est cependant pas si éloigné du film de Verhoeven. Les fantasmes et pulsions malsaines dont fait preuve Michèle peuvent avoir plusieurs significations, est-ce une façon de s’abandonner dans un monde où elle doit toujours mener la barque, est-ce une façon de se punir, est-ce un combat entre elle et son agresseur pour prendre le contrôle de la seule chose qui lui échappe ou bien est-ce simplement une quête de liberté à travers l’abandon complet de son corps au main de son agresseur. Isabelle Huppert montre une nouvelle fois tout son talent et nous offre une prestation qui aurait pu facilement prétendre au prix d’interprétation, tellement l’actrice nage dans un registre qui lui est connu sur le bout des doigts. C’est également une actrice qui sait prendre des risques et qui est certainement la seule actrice française à pouvoir jouer ce genre de rôle.
Elle est donc un retour en fanfare du hollandais violent au cinéma avec cette OVNI dans le cinéma français, sachant s’approprier ses codes pour les retourner et en faire un film difficilement définissable mais suintant la touche Verhoeven à chaque plan .
Bondmax attribue la note de :
En bref
Verhoeven s’approprie le cinéma français et en fait un thriller à la fois drôle et malsain dans lequel Isabelle Huppert brille de mille feux.