Avec P’tit Quinquin, Bruno Dumont avait opéré un virage important dans son cinéma en jouant beaucoup sur la carte de la comédie et du burlesque. 3 ans après cette mini-série, Dumont bifurque à nouveau dans un nouveau genre avec Jeannette, une nouvelle production Arte. Place donc cette fois-ci à la comédie musicale, et autant vous prévenir tout de suite on est à des années lumières de La La Land.
Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc s’inspire des textes de Charles Péguy, écrivain français de la fin du XIXème, auteur des ouvrages Jeanne d’Arc et Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc. C’est la deuxième fois que Bruno Dumont s’attaque à une figure de l’histoire française, la première étant la sculptrice Camille Claudel à qui Juliette Binoche avait prêté ses traits. Cela dit, les deux personnages n’ont rien à voir, d’autant plus que comme l’indique le titre, le cinéaste nordiste va s’intéresser à l’enfance de Jeanne, avant qu’elle ne devienne la Pucelle d’Orléans. Direction donc le petit village de Domrémy dans les Vosges, pays natal de Jeanne. Enfin pas vraiment, car comme à son habitude, Dumont a choisi la côte d’Opale pour filmer l’action de son film et résultat, on se retrouve avec de magnifique dunes dans les Vosges. Mais comment en vouloir au natif de Bailleul, tellement il sublime ces paysages nordiste, il en fait un lieu hors du temps, un lieu sauvage, un lieu empli de mysticisme. D’autant plus que Jeannette est quasi-exclusivement tourné en extérieur.
Le cadre n’est pas le seul élément qui nous permet de nous raccrocher au cinéma de Dumont. La foi prend également une place prépondérante dans le récit, et encore une fois le questionnement de celle-ci est un thème important du long-métrage. La jeune bergère remet en effet en question ses prières et sa foi en Dieu avec la guerre qui règne dans le territoire. Le mystique va également intervenir. Là encore on se situe dans des terrains connus pour Bruno Dumont qui avait exploré ces pistes dans plusieurs de ses films dont l’impressionnant Hors Satan sorti en 2011. Dumont érige donc Jeannette comme une figure mystique avec sa petite bouille d’ange qui s’adresse à plusieurs reprises à Dieu et qui se retrouve porteuse de cette destinée qu’on lui connait. Autre point dont Dumont s’est fait à de nombreuses reprises l’étendard, c’est l’utilisation d’acteurs non professionnels ( chose qu’il a enfreint à deux reprises avec Ma Loute et Camille Claudel). En effet, que des inconnus au casting de Jeannette et il n’est alors pas étonnant de voir des approximations au niveau du jeu et encore plus au niveau du chant. Les jeunes actrices arrivent cependant assez aisément à capter l’écran, surtout Lise Leplat Prudhomme et Jeanne Voisin jouant respectivement Jeanne enfant et Jeanne adolescente. Performance qui s’avère au final malgré ses défauts impressionnantes, car le chant est en prise de son réelle. Il confère donc cette touche d’humanité particulière à ses personnages.
Venant en au point particulier de ce Jeannette : la musique. Depuis le début Dumont a très peu eu recours à la musique dans ses longs-métrages, chose qu’il renverse complètement aujourd’hui car la musique et les images dans Jeannette sont indissociables. Force est de constater que Dumont ne fait pas les choses comme les autres, on est très loin de Jacques Demy en ce qui concerne la comédie musicale. Cela est du principalement à une personne, Gautier Serre, alias Igorrr. Cet artiste français possède un style des plus uniques. Avec son subtil mélange de breakcore, metal et musique baroque, Igorrr a crée un univers des plus fascinants et déconcertants. Lorsque résonne les premières notes de la musique d’Igorrr dans Jeannette, le contraste est frappant. Le côté très épuré des images s’allie avec cette musique tonitruante lançant Jeannette dans une sorte de transe. Grâce à une palette très riche de sonorité, Igorrr va permettre avec l’aide du chorégraphe Philippe Decouflé, de traverser des siècles de musiques et de danse allant de la musique médiévale au death metal, se permettant même des incursions dans le rap et la tektonik (quitte à claquer un Dab par la même occasion). Le headbang devient alors avec Bruno Dumont, un symbole de ralliement à une cause, un cri patriotique.
Forcément, on se demande si il n’y a pas derrière tout ça un côté très provocateur de Dumont qui s’amuse comme un fou à reconstruire une figure aussi mythique que celle de Jeanne d’Arc. Mais il serait injuste de considérer Jeannette comme un simple exercice de style se voulant transgressif, c’est un film bizarre, parfois approximatif mais qui s’amuse de tout cela et permet à son auteur de jouer du médium pour en extraire une oeuvre des plus fascinantes de folie.
Bondmax lui attribue la note de :
En bref
Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc n’est définitivement pas à mettre en toutes les mains. Il pourra en agacer certains mais pour peu qu’on se laisse emporter par la folie contagieuse du duo Dumont/Igorrr, Jeannette apparaîtra comme une oeuvre démentielle s’amusant à reconstruire à la fois une figure mythique et son cinéma.