C’est à Cannes que Jeune Femme, premier long métrage de Léonor Serraille a fait un tabac. Sélectionné en un certain regard il est reparti avec la caméra d’or. Le jury a été séduit par le portrait pop de cette trentenaire.
Paula, pour résumer, c’est une herbe folle qui après 10 ans d’absence, retrouve Paris, qu’elle déteste tant. Plus de mec, pas de taf, sans tunes, faut pas chercher, en fait elle n’a rien. Rien que des emmerdes et un chat sous le bras. Elle va devoir s’y frotter à tout ce qu’elle avait pu éviter au crochet de son ex. La moindre petite chambrette c’est 500 balles et un travail c’est la mort à obtenir. Elle ne part pas gagnante, elle paraît toujours inadaptée, gênée par son physique trop grand et par sa langue trop franche. Avec cette façon d’être toujours un peu lunaire, on ne sait pas si elle trébuche sur la société, ou si la société trébuchée sur elle. Elle pourrait être la correspondante française de Frances Ha. On les imagine passer une soirée toutes les deux : elles abuseraient du vin, perdraient le chat, crameraient la bouffe, désapprendraient la danse.
Paula
Contrairement à sa complice américaine le film ne porte pas son nom. Pourtant il lui est tout entier dévolu. Dès le début dans l’hôpital, la caméra se colle à ses sanglots. Elle est si proche que ses soupirs pourraient déposer de la buée sur l’objectif. La scène dure jusqu’à ce que nous connaissions les nuances qui l’échelonnent de l’agacement à la colère. Dans sa peine, elle paraît à la limite de la folie; presque bonne à hurler dans le métro. Par cette entame où Paula n’est pas à son avantage et cette infime distance, Léonor Serraille cherche à créer d’emblée un lien intime entre spectateur et personnage. Un truc fort qui ne s’effiloche pas au lavage. Elle va passer le reste du film à la vêtir et la dévêtir, comme si effeuiller c’était affiné. À la suivre dans toutes les situations, tellement sur ses bask qu’on va finir par l’aimer comme une amie déterminée et loufoque.
Un film féministe
Dans Jeune Femme, le scénario est tenu tout du long par l’envie de détourner les stéréotypes. Ainsi elle croise une lesbienne très féminine, une jolie fille peu sympathique, un vigile dont on entend la voix. Cette bifurcation empruntée c’est le chemin qu’avait tracé Sciamma. Il y a 10 ans déjà, elle dégainait Naissance des pieuvres. Une pieuvre, trois cœurs, trois meufs comme on n’en voyait pas sur les écrans. Parfois plus virile, qui n’entre pas dans un 36, en tout cas qui n’ont rien pour avoir le visage collé sur les affiches Nivea. Léonor Serraille, Léa Mysius, une génération qui persiste et signe.
Outre le féminisme un peu dogmatique, théorique, du scénario, c’est bien l’interprétation de Laëtitia Dosch qui donne sa pulsation au film. Organique et volcanique son corps occupe l’espace toujours en déséquilibre comme une chaise bancale.
L’image trop tendre
Seul bémol, l’image est en désaccord avec le reste du film. Ce Paris, sur lequel Paula peste, décrit comme blafard et inhospitalier, nous paraît plutôt doux. Elle a quelque chose d’accueillant, presque publicitaire. La chambrette sous les toits est baignée de soleil, ses murs sont bleus pastel. Le métro est débouché de ses ombres glauques, on aimerait presque y passer du temps. De l’image émane une joliesse qui est un contre sens.
Léonor Serraille est une jeune femme à suivre. On a hâte de voir ses films suivants. Découvrir ce qui était en germe de celui-ci et qui prendra la lumière dans les prochains. Bref la voir s’affirmer.
JunkieBanane lui attribue la note de :
En bref
Jeune Femme est un portrait de femme, plein de pep’s et d’énergie. Un premier film pop et moderne. On ne demande qu’à revoir Laëtitia Dosch devant la caméra de Léonor Serraille.