À la fin des années 1970, Alejandro Jodorowsky est au sommet de sa carrière de cinéaste. Auteur prolifique bénéficiant d’un public toujours plus nombreux et d’une solide réputation de fou furieux, il se lance dans un projet ambitieux : réaliser une adaptation de Dune de Frank Herbert, œuvre classique de la littérature de science-fiction se heurtant à des thématiques philosophiques et métaphysiques. Mais pas une adaptation sous n’importe quelle forme : un film dont la durée aurait été d’une demi journée, doté d’idées et d’effets spéciaux révolutionnaires tout en développant les facettes ésotériques propres à son maitre d’œuvre. Le projet n’aboutira jamais, jugé trop « fou » pour les grandes firmes hollywoodiennes qui refusent à l’équipe de production le déblocage des cinq millions de dollars nécessaires pour débuter le tournage. Aujourd’hui, le documentariste cinéphile Frank Pavich revient sur cette histoire à proprement parler hallucinante : celle d’un rêve de cinéma et du film le plus culte jamais réalisé.
En nous recevant chez lui pour se faire interviewer à propos de son aventure, Alejandro Jodorowsky dévoile son univers particulier ainsi que son amour pour les formes d’art les plus pures. Lorsqu’il commence à parler du projet « Dune », il raconte « Je n’avais jamais lu Dune ! J’aurai aussi pu dire Don Quichotte ». Une comparaison assez intéressante, puisqu’à l’instar de Dune, toutes les tentatives d’adaptations de Don Quichotte ont été des échecs. À travers des schémas très précis, Franck Pavich nous raconte ce qu’aurait du être « Dune » à travers les voix de l’équipe artistique comme celle de nombreux cinéastes actuellement en vogue comme Nicolas Winding Refn. Sont notamment présents Michel Seydoux, le producteur de Jodorowsky, ainsi que H. R. Giger, de nombreux critiques de cinéma, et même le coach sportif engagé pour entrainer les acteurs au combat. Mais plus qu’un voyage dans l’esprit de l’un des hommes les plus fou de l’histoire du cinéma, Jodorowsky’s Dune est également un réflexion sur l’art et sur ce que l’échec peut représenter dans la vie d’un homme.
Ce que l’on découvre premièrement, c’est une ambition folle, servant un film pharaonique. Orson Welles, Salvador Dali et Mick Jagger au casting, des story bord signés Moebius, Pink Floyd et Magma à la bande originale, le développement d’un univers hallucinant de richesses, une ouverture en plan séquence et des idées révolutionnaires toutes plus folles les unes que les autres.
Connu pour être un cinéaste aux références fortement avant-gardistes, Alejandro Jodorowsky donne à son projet tous les ingrédients pour aboutir à un rêve de cinéma. Très attaché à la spiritualité, il va même jusqu’à virer purement et simplement Douglas Trumbull de l’équipe, pour son égocentrisme ; ce qui à l’époque était inimaginable en pleine pré-production d’un film à effets spéciaux. L’intimité du monde du cinéma se retrouve déballée par Franck Pavich, montrant également les story-boards de Moebius nous permettant de mieux imaginer ce qu’aurait donner ce film si seulement il avait abouti. Dans les nombreux entretiens où il apparaît, Alejandro Jodorowsky s’immobilise dans une réflexion sur l’art et plus paradoxalement sur l’homme. « Je voulais créer un film qui donnerai aux spectateurs le même effet que le LSD » dit-il entre autre, pour ne prendre qu’un échantillon des citations les plus folles du réalisateur de La Montagne Sacrée.
Jodorowsky’s Dune apparaît alors comme une ode à la création, à l’imagination, aux fous et aux rêves. Le rêve de créer un film qui serait plus qu’un simple film, mais une œuvre d’art, une sorte de Joconde du cinéma. Tous les problèmes techniques imposés étaient solutionnés, tout était prêt, toute l’équipe avait déjà donné son sang pour voir son travail débuter sous forme de tournage. Tout ce qu’il manquait, c’était l’argent, « Cette merde ! » comme le cri Jodorowsky en sortant soudainement de sa poche des billets de banque. Au final, qu’importe, l’échec n’est pas une fin, c’est un passage vers autre chose. Plus qu’un film sur l’imaginaire, Jodorowsky’s Dune est également un portrait d’artistes fascinants, que la voix de Jodo fait heurter à l’humour autant qu’à l’émotion, celle de voir un tel projet anéanti par une industrie profondément hypocrite.
Ce « Dune » qui n’a jamais existé aurait également pu être une œuvre oubliable, un ratage complet, si il avait existé. Mais finalement, c’est justement son avortement qui lui a donné les traits d’un film encré dans l’imaginaire collectif, l’échec le plus influent de l’histoire du cinéma. On découvre rapidement que sans son blocage, des films tels que Alien, Star Wars, Blade Runner ainsi que des auteurs influents comme David Lynch n’auraient jamais vus le jour tel que nous les connaissons aujourd’hui. Aujourd’hui, cette œuvre monumentale se contente de quelques coups de crayons pour dessiner l’infini, et est profondément attaché au monde du rêve.
Kiwi- lui attribue la note de :
En bref
Jodorowsky’s Dune est une merveille de documentation, une déclaration d’amour à l’art, au cinéma et à la folie créatrice. L’imaginaire est le plus beau monde qui soit, et Dune en fait parti désormais intégrante. Si chaque rêveur à son film rêvé, Alejandro Jodorowsky est le rêveur le plus rêvé de l’histoire du cinéma.