Sous le soleil estival de La Ciotat, Olivia, écrivaine parisienne, anime un atelier d’écriture avec les jeunes sélectionnés par la mission locale. Sans doute, ils ont pris soin de mélanger les classes et les couleurs, pour présenter une France, Black, Blanc, Beurre. On lit là, l’utopie de créer une cohésion totale, soudée d’échanges et de cultures. Loin du cadre scolaire, des cloisons, des sonneries, ils vont découvrir la littérature sous un jour nouveau. Le but étant de leur faire écrire un roman, tous ensemble, sur leur ville. Celle-ci, à mi-chemin entre Marseille et Toulon, a les traits trompeurs d’un petit paradis bordé de calanques. Mais elle a du mal à cacher son passé houleux. Un immense chantier naval, où les immigrés/ouvriers ont trimé, puis se sont battus 10 ans durant, pour garder le site ouvert. Le décor est planté, l’Atelier peut débuter.
Un film hors programme, une première fois
Dans Entre les murs, Cantet affrontait sans ambages chaque cliché inhérent à un collège de banlieue. C’est cette frontalité courageuse qui lui valut une palme d’or. Tout y passait : le langage, le racisme, le foot, les saps… Le professeur se débattait dans ce milieu avec passion. Parfois c’était électrique: les préjugés, les jugements et les cultures se percutaient… Mais, en même temps, il connaissait le programme qui l’attendait au bout de la ligne de RER. Il se révélait difficile mais sans surprise.
Dans l’Atelier on ne sait pas bien avec quels préjugés elle arrive, cette écrivain. Lors des débats, elle les dissimule, essaie tant bien que mal de les désamorcer. Mais personne n’est dupe, ils sont similaires à ceux d’Entre les murs. C’est la même fracture générationnelle, sociale, géographique et généalogique. Elle non plus elle n’est pas dupe, elle a décidé, en connaissance de cause, de pointer le bout de son nez là-bas. Peu importe, ce qu’elle va affronter, elle n’y était pas préparée. Le dérapage est hors programme.
C’est le petit blanc, Antoine, boule de révolte et d’agressivité qui pose problème. C’est lui qui a du mal avec son identité, qu’il exprime en flirtant avec les milieux fascistes. Et elle est là, la bonne idée du film. Non pas qu’il n’existe pas ce personnage, mais sur ce terreau-ci, il n’a jamais été mis en scène. Dans un atelier d’écriture, choisi par une mission locale, le personnage est tête-bêche. Laurent Cantet a le mérite de dévier du sentier battu, ce qui donne à l’Atelier un goût particulier.
Une vision réac des écrans
À cette idée qui casse les codes s’oppose un traitement assez réactionnaire des nouvelles technologies. Dès l’ouverture du film, c’est un plan d’un jeu vidéo, qui nous saute à la gueule. The Witcher, pour être précis. Le personnage, une épée à la ceinture, est suivi de dos à travers le blizzard. Il erre seul dans la neige et le froid, c’est avec peine qu’il gravit un monticule. Une fois au sommet, il marque un temps pour s’orienter dans la tempête qui le glace. C’est évidemment une métaphore d’Antoine dans les calanques ne sachant que faire de sa vie, perdue entre roche et azur. Un contrepoint de pixels blancs, au soleil qui cache trop bien la misère. Nous n’avons pas accès à son visage, pour n’habiter d’aucuns affecte cette image. Comme Antoine ado à la bouille d’ange et à l’âme sombre, a le visage opaque, gardant sous verrou ses intentions. Par ailleurs, le numérique est présenté tout du long sous un aspect guerrier et solitaire. Sans cesse stigmatisé en facteur de rupture de lien social. C’est le lieu où il se recroqueville pour laisser pénétrer en lui, les discours fascistes, et les images armées. Devant les écrans, on est embrigadé, on se coupe des conversations, on exclut les filles. L’ado qui n’est pas motivé par l’atelier a en permanence son téléphone dans les mains, barrière qu’il a lui-même dressée entre lui et la culture.
Un film hors programme, une seconde fois
L’Atelier est un film qui se dérobe. Il dévie une nouvelle fois de son nouveau programme. Au lieu de tomber à pique sur l’idéologie d’Antoine, et verser dans l’analyse sociologique, le récit se ressert sur le couple enseignant élevé, laissant poindre quelque chose de trouble. Quoique rebutée par son islamophobie, elle est attirée par son intelligence et sa capacité à argumenter sans jamais défaillir. Il la touche dans ce que préfèrent les intellectuels, la joute. Aveuglée par cette aisance avec les mots, dans un premier temps elle se laisse avoir. Lui est envoûté par un monde qui lui paraît moins étriqué que le sien et bien sur, à l’adolescence, par une femme. C’est une petite obsession qui naît en lui et ne cesse de grandir. La haine est une masse informe, laissée mystérieuse, qui grouille dans son ventre. En rencontrant Olivia, elle change de vecteur, passe d’idéologique à sentimentale. Antoine est une grenade dégoupillée, et la fin somptueuse nous entraîne dans le risque d’explosion. L’Atelier, film cérébral laisse un temps place au film noir racé, qui file dans la nuit flirtant avec le précipice. C’est un entonnoir cinématographique d’un érotisme froid dans lequel le film s’engouffre, nous tiendra en haleine jusqu’au dernier plan.
Cantet se prononce ici clairement, selon lui la pensée politique n’est pas innée, elle a tout de construite. Il faut une pulsion en soi pour s’y affilier, mais aussi une filiation, une éducation. Les luttes se nourrissent des volontés, quelles qu’elles soient, et l’extrémisme des haines. Mais pour ce qui est de la haine, il laisse une distance, comme si la pulsion seule pouvait suffire, ou que les raisons intimes d’un individu à ressentir de telles choses, il ne pouvait les filmer.
JunkieBanane lui attribue la note de :
En bref
Laurent Cantet, explore une nouvelle fois la difficulté qu’a la jeunesse à trouver son chemin. Dans cette histoire d’atelier d’écriture à La Ciotat, qui oppose une écrivain parisienne à des jeunes en insertion, loin de se répéter, il sait se renouveler et nous surprendre. Et c’est avec beaucoup de finesse qui réalise cérébral et viscéral.