C’est sur les terres d’Ingmar Bergman et avec une partie des collaborateurs réguliers du maitre suédois qu’Andreï Tarkovski tourne son ultime film, Le Sacrifice. À peine remis de son divorce avec sa patrie, le réalisateur russe, qui a déjà tourné Nostolghia en Italie, voit plus que jamais son film diviser auprès de son public. À ce titre, Ingmar Bergman, admirateur du travail de Tarkovski et l’ayant lui même invité à tourner ce film en Suède, en dira que le cinéaste est ici tombé dans un piège qu’il redoute lui même : l’enfermement. Avec Le Sacrifice, Tarkovski s’est-il simplement contenté de faire du Tarkovski ? Cloisonné dans une étreinte angoissée, Le Sacrifice révèle surtout un homme marqué par la peur de l’échec, rongé par la mort qui le rattrapera le 29 décembre 1986 à Neuilly-sur-Seine.
Esthétique mystique et mélancolique, monologues philosophiques et existentiels, plongeon dans une sensation de malaise… Le Sacrifice est un regard lointain, terrible et isolé, las de son humanisme, luttant contre le conformisme et la disparition de la spiritualité au beau milieu des années 80. C’est un film dans lequel le héros ne dispose comme interlocuteur que d’un enfant frappé de mutisme, qui en fait un innocent dans cette tragédie et ce théâtre des regrets. Croquis de l’individu moderne, empoisonné par cette modernité qui rend vulnérable dans le calme (magnifique) du film.
Le premier sacrifice a lieu lorsqu’Adélaïde, épouse haineuse, compte réveiller Petit Garçon qui dort, uniquement par un besoin pervers. Entre elle et l’enfant s’impose la bonne qui la défend d’approcher Petit Garçon, précisant qu’elle est prête à subir un châtiment pour qu’on ne vole par les derniers instants de rêve de l’enfant. Suite à ce geste, Adelaïde laisse couler ses larmes, elle comprend son incapacité à aimer, le fait qu’elle soit hermétique à toute forme d’amour pour autrui.
Les failles du séisme s’étendent, aveuglées par un horizon à la blancheur inexplicable. La mélancolie absolue, l’harmonie qui ne peut intervenir sans un sacrifice, celui du langage, du matérialisme, de l’innocence, de la beauté. Le Sacrifice est le miroir de l’existence de Tarkovski, à l’instar de nombre de ses œuvres. La désillusion est une révélation de l’imposture et de la prétention intellectuelle, seule figurante de la théâtralité d’un espace réservé à un incendie, manifestation d’un moi irréel en proie à la parole. C’est ainsi que le héros, Alexander, vêtu d’un peignoir sur lequel est gravé le Yin et le Yang, met feu à sa maison. Extasié face à la contemplation de ce désastre, il vient de mettre fin à l’utopie, la crise est reliée au rêve.
En commençant la filmographie de Tarkovski, je suis perché en haut d’un arbre, observateur de l’apocalypse, des tourments du moyen âge, d’une humanité qui regarde sa propre perte, son reflet, sa nostalgie, ses désirs et ses larmes. À la fin, je me retrouve sur une plage suédoise. Au commencement était le verbe. Pourquoi papa ? Le tout hypnotisé par la simplicité de Bach, par l’envergure du cinéma.
Le Sacrifice (Offret en VO), réalisé par Andreï Tarkovski, Suède, 149 minutes, 1986, vu en VO.
Kiwi_ lui attribue la note de :
En bref
Le Sacrifice est celui d’Andreï Tarkovski, pour sa famille, pour l’Homme, pour lui, pour le cinéma. Sur ce final d’une splendeur et d’une majesté au delà du convenable, s’élève simplement la beauté.