Dans le film L’homme qui n’était pas là, des frères Coen, un avocat explique sa stratégie pour faire disculper sa cliente face au tribunal. Il déclare alors que, parfois, plus l’on regarde quelque chose, plus il est difficile de l’analyser. En gros, le seul fait d’observer peut modifier la réalité, et par conséquent, plus l’on regarde, plus on ignore. Pour faire plus bref, on ne voit que ce que l’on veut voir. Il s’agit du principe d’incertitude démontré par Werner Heisenberg en 1927, affirmant qu’il existe une limite fondamentale à la précision. Et cela est beaucoup plus véridique aujourd’hui, à l’heure du virtuel, où la technologie met à porter de main nos désirs. Voilà ce qui pourrait définir la filmographie plus ou moins inégale de Denis Villeneuve, et son penchant très louable qu’est le refus d’impressionner en abusant d’artifices, et faisant valoir sa singularité en tournant des d’«anti-blockbusters », partant d’un postulat alléchant pour finalement se positionner à contre-courant de ce que l’on pourrait attendre de ce type de film. À ce titre, Premier Contact n’a rien d’une aventure bigger-than-life avec des extra-terrestres, mais se positionne davantage dans une catégorie de science-fiction humaniste, s’échappant des conventions.
Mettant en exergue une densité inédite, autant fondée sur l’approche d’une autre civilisation que sur une boucle mnémonique intimiste, Premier Contact est un film ambitieux, mais jamais prétentieux, mettant en place ses pions sans jamais en faire tomber un. L’héroïne, campée par une Amy Adams au sommet de son charisme, est quasiment un sujet d’étude pour le réalisateur, la positionnant dans un nombre incalculable de situations différentes, mettant chacune en avant la quête intérieure, le mystère et l’invisible. Certains plans sont proches d’une esthétique réaliste, tandis que d’autres frôlent l’onirisme pur, mettant même parfois à mal nos repères visuels (comme notamment la scène de l’ascension). De la même façon, les apparitions furtives des extra-terrestres ajoute l’étrangeté et la terreur, malgré le fait que Villeneuve n’use d’aucun artifice horrifique. Mais le plus important, le long du métrage, ce sont ces thématiques, principalement basées sur la mémoire. On songe ainsi à Andreï Tarkovski, qui dans Solaris utilisait la science-fiction comme prétexte pour mettre en avant un humanisme transcendantal. La science est ainsi opposée à la conscience, et vice-versa. L’homme est alors contraint d’accepter son ignorance, comme on le voit dans une séquence où Amy Adams raconte à son chef la manière dont James Cook aurait trouver le nom du kangourou ; anecdote se révélant fausse. Premier Contact le long de sa trame, ne cesse de développer le langage comme un arme de communication massive, contre la peur de l’autre, avec une telle subtilité que l’on se demande parfois à quoi nous sommes en train d’assister : une quête intérieure ? Un métrage d’aventure ? Un thriller géopolitique ? De la science fiction-exigeante ? Et tout cela à la fois.
Et c’est là que les démons rattrapent les meilleures intentions.
Car si Denis Villeneuve à la précision d’un mathématicien, il n’a pas la grâce d’un poète, et n’hésite pas à retirer au film le mystère qui faisait son charme, et cela d’une manière outrageusement convenue, se rajoutant à une histoire déjà superfétatoire. Ainsi, Premier Contact dénude son potentiel fascinateur, et finit, in-fine, par perdre son pouvoir, malgré sa richesse. Ce qui est dommage, puisque si le film partait comme une pérambulation métaphysique, il n’est que l’ombre de lui-même, finissant par officier en tant qu’œuvre de science fiction luxueuse, particulièrement dickienne, mais pas spécifiquement marquante, et laissant un gout d’inachevé.
Kiwi- lui attribue la note de :
En bref
Malgré la kyrielle d’arguments positifs que l’on peut lui trouver, Premier Contact est donc une déception, tout simplement car Villeneuve succombe au besoin pervers d’en faire des tonnes, alors qu’il lui suffisait de très peu. Et comme toujours avec lui, beaucoup d’idées, mais aucune nouveauté. Néanmoins, parallèlement, le film émerveille par la voix de sa richesse, de son audace, son ambition et sa subtilité. La saveur d’un gout amer…