Des années qu’on l’attendait. Godzilla, roi des monstres et méchant mythique du film de 1954 d’Ishiro Honda – et d’un paquet de nanars/navets par la suite – se devait de revenir en foutant un bordel monstrueux dans le rôle de méchant qui est le sien. Alors quand la Toho a annoncé que Shin Gojira était sur les rails avec Hideaki Anno aux manettes – le papa du mythique Neon Genesis Evangelion et du fondateur Gunbuster – cette impatience s’est muée en espoir, mais avec une pointe de prudence (la présence d’Higuchi en tant que co-réalisateur y était pour beaucoup). En 2016, Godzilla peut-il encore tenir la route en mocap, au Japon et avec un budget riquiqui comparé à son prédécesseur hollywoodien (15 millions de dollars de budget contre 150) ?
Oui, oui et mille fois oui.
Parce que ce qu’il n’a pas en argent ou en effets spéciaux, il le compense avec son écriture, son déroulement, son sens du rythme et sa réalisation. Ici pas de monstre gentil numérique qui sauve les USA comme dans le film de Gareth Edwards. Godzilla tue, massacre et détruit Tokyo avec minutie. Mais surtout, il incarne parfaitement les névroses du Japon de l’après Seconde Guerre Mondiale et de l’après-Fukushima, entre résignation, incompréhension et volonté de s’en sortir par l’effort collectif. Ce Shin Gojira parlera donc avant tout aux Japonais (qui ont été le voir en masse au cinéma) et aussi aux connaisseurs de l’actualité japonaise (se renseigner sur Fukushima et ses conséquences étant obligatoire bien entendu).
Ce côté politique fait bien évidemment écho à celui du premier film d’Ishiro Honda. Shin Gojira est d’ailleurs un étrange mélange entre modernité et tradition : en choisissant de ne pas céder à la mode du tout numérique pour animer son monstre, Anno a pris un risque. Payant car le rendu est absolument dingue, loin de l’image carton-pâte ou plastoc des Godzilla des années 70. Le design est parfait, l’animation est dynamique et la mise en scène parvient à nous faire croire au gigantisme du monstre avec notamment ces plans en contre-plongée que n’aurait pas renié un Spielberg époque La Guerre des Mondes. Godzilla est immense, des immeubles entiers sont détruits, son cri résonne à travers toute la ville et son souffle atomique balaye absolument tout, reléguant celui du Godzilla de 2014 au rang de simple rot. Clairement, le tour de magie fonctionne à fond et il faut tirer un coup de chapeau aux équipes techniques qui ont dû intégrer ce Godzilla mocap sans que l’on s’en rende compte.
Alors c’est vrai que jusqu’ici, c’est le fan qui parle. Mais même sans ça, on ne peut que s’incliner devant la qualité de ce Shin Gojira. Formelle déjà, avec un rythme soutenu de bout en bout, des pièces d’Evangelion reprises et parfaitement intégrées à l’ensemble et une mise en scène de qualité, même quand l’action se fait discrète. Le principe d’étaler l’action sur plus de trois semaines – après chaque attaque Godzilla doit se refroidir avant de réattaquer – permet aussi d’installer une course contre la montre qui fait qu’il n’y a quasiment pas de temps mort. L’écriture permet de combler très efficacement ces moments « faibles » : tantôt pédagogique, tantôt technique, elle est toujours pertinente et intelligente et présente parfaitement les différents enjeux ainsi que les thématiques du film.
En faisant le choix, là aussi original de nos jours, de ne pas suivre un héros lambda face au monstre, Anno se laisse de la marge de manœuvre pour évoquer plusieurs choses. Tout d’abord, cela permet de clarifier la situation : dans Shin Gojira, on observe un pays contre sa création. De suite on comprend qu’il va s’agir d’un film basé sur la réaction du Japon face au monstre ; l’idée de se focaliser sur la réponse de l’administration et du gouvernement face à cette crise et de suivre les décisions à la façon d’un documentaire de guerre est plutôt bien vue, même si difficile à appréhender lors des premières minutes.
Si l’avalanche d’informations et de personnages peut dérouter, on se sent petit à petit intégré à ces équipes et on ressent de l’empathie pour ces gens. En embrassant cette structure vraisemblable, Anno peut se permettre aussi de parler (et critiquer) de l’ingérence des États-Unis dans la politique japonaise et de la mainmise US à l’ONU (et par extension, des cicatrices de 1945 qui ne sont toujours pas refermées) d’évoquer l’impuissance des pouvoirs publics comme en 2011 ou de parler loi sur les pleins pouvoirs pour le Premier Ministre… C’est à la fois étrange de voir ça en 2016 mais aussi tellement bon. Car, et cela faisait très longtemps, un film parvient à être à la fois clair dans la forme et dense dans le fond.
Alors bien entendu Shin Gojira a des défauts. Le plan final sort un peu du chapeau d’un magicien, Satomi Ishihara est assez agaçante avec un rôle bien trop mis en avant – elle ressemble beaucoup à Asuka de NGE mais sans la profondeur de l’écriture – et parfois le rythme toussote. Mais ne boudons pas notre plaisir : le roi des monstres est de retour par la plus belle des portes. Anno peut se consacrer à Evangelion 4.44 avec le sentiment du devoir accompli.
PFloyd lui attribue la note de :
En bref
Shin Gojira est une claque. Oubliez le film de 2014, Godzilla n’est jamais aussi bien que quand les Japonais se penchent sérieusement sur son cas. Hideaki Anno est un génie.