[Critique Film] – Nomadland

Nomadland

Poster du film

Après la mort de son mari et la fermeture de l’usine de sa ville, Fern (jouée par une Frances McDormand incroyable) prend son van et devient nomade. Elle enchaine les petits boulots et finit par se laisser convaincre par son amie Linda May (qui joue elle-même) de rejoindre un camp de nomades pour une célébration annuelle. 

Adapté d’un titre de non-fiction, Nomadland est l’accouchement d’une collaboration entre Frances McDormand, qui a acheté les droits du livre, et Chloe Zhao, qui le réalise. Le personnage de Fern, complètement inventé au milieu de ces gens bien réels (presque tous les acteurs sont non-professionnels et jouent leur propre rôle), est un personnage à l’écoute. Passif, non, mais renfermé, trop blessé, qui tend une oreille humaine et ouverte aux divers récits qui lui sont offerts. 

Au-delà de ses nombreuses récompenses, Nomadland est un film très simple, simple et en même temps très compliqué parce qu’il parle de connections humaines. Nous existons pour les autres dans le prisme de notre situation sociale, de notre travail. Compliqué parce que bâtard, jouant sur la ligne du réel et de la fiction, mêlant les deux, dans un va et vient permanent et périlleux, pas forcément évident au premier abord. Pourtant, dans les moments de témoignages, pendant lesquels McDormand écoute, la caméra en gros plan sur les visages des nomades prend des tics de documentaire. La balance est difficile, et pourtant elle fonctionne, dans ce jeu absurde où des gens bien réels se mettent en scène mais se racontent aussi, avec, en miroir, une actrice oscarisée dont certains n’avaient jamais même entendu parler. 

Nomadland

Linda May et Frances McDormand

Fern, c’est la fougère, un type de plante dont la diversité se compte en milliers et qui peut, pour certaines espèces, survivre à l’aridité. Et de l’aridité, il y en a, dans Nomadland. Si l’on voit les saisons passer, c’est bien dans un décor de western que se centre le film, là où toute l’Amérique des oublié-es se rejoint dans un acte de solidarité, une communauté à la marge, dans laquelle tout le monde se parle et partage, tabous tous oubliés parce qu’une oreille est enfin prête à écouter. 

Et de la diversité, il y en a dans les histoires, tant chacun est une personne et un personnage fort. Mais on retrouve, quand même, les signes d’une Amérique abattue par le capitalisme et le travail. Les locaux d’Amazon sont bien gris, même si les gens s’entendent bien. Au milieu du tout mécanique, Fern prend le temps de saluer tout le monde. L’emphase est faite, pas forcément toujours subtile, sur le fait que Fern aime les gens, a une capacité de connexion à l’autre incroyable, le genre de lien à l’autre dont parle Kae Tempest, et pourtant c’est une solitaire. Elle vit une routine annuelle, seule, et quand une main est tendue, elle la dédaigne. Elle fait son deuil et refait sa vie comme elle l’entend. 

Nomadland

Swankioe jouant elle-même.

Ce road trip aux couleurs beige n’est pas sans rappeler La Novia Del Desierto de Valeria Pivato, et Cecilia Atán. Dans les deux cas, il y a un voyage, et la rencontre d’un homme – d’un possible. Et si les deux héroïnes suivent un chemin tracé par la volonté de fidélité, Fern, elle, se démarque par son imprévisibilité. Fern va fuir le guide et errer, seule, jusqu’à se perdre. Fern n’a pas de pneu de rechange, elle n’est pas préparée. Frances McDormand, suivie par une caméra qui aime s’attarder, marche et roule, au son de la musique de Ludovico Einaudi. 

Il y a quelque chose d’ironique dans ce Nomadland qui dépeint une Amérique laissée à l’abandon, ironique parce que travailler chez Amazon est une vraie solution, parce que le grand géant qui paye le parking de la pauvre petite veuve, c’est quelque chose qui est accepté sans ciller – quand on n’a pas le luxe de refuser, on prend tout, même le travail à la chaine pour faire des colis à des gens qui ont les moyens de payer pour se faire livrer des colis en 24h. Ironique, parce que le deuil, c’est la solitude et l’abandon, et Fern, aussi entourée qu’elle soit, décide de rester seule. Ironique, parce qu’un plan montre un cinéma fermé qui ne joue qu’un seul film : Avengers (premier du nom). L’ironie, ici, est dans le fait que Chloe Zhao, qui montre cette Amérique cachée, a réalisé The Eternals pour le grand ponte Marvel/Disney. 

C’est un film doux-amer que Nomadland, un choix de poésie pour décrire le naufrage, et en même temps un choix de vie et de vivre pour beaucoup de ses protagonistes. C’est peut-être naïf, mais la beauté est là. La beauté des gens, des images, des mots, et même des sons. La beauté du geste (encore, et toujours, cinématographique). 

SophieM lui attribue la note de :
9/10

En bref

Très beau film sur l’humain, Nomadland décrit une Amérique dont L’Amérique elle-même ne veut pas parler.

SophieM

27 ans. Militante féministe, libraire de métier. Je vis pour le fromage.

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