On avait de quoi avoir peur en voyant le nom de Danny Boyle – cinéaste anglais habitué aux toxicomanes et aux zombies – réaliser un biopic du Dieu du consumérisme qui avait déjà « subi » un premier film sur sa carrière en 2013. Pourtant Steve Jobs possédait aussi des atouts dans son jeu lors du lancement du projet : un script d’Aaron « The West Wing » Sorkin et David Fincher à la réalisation – après leur collaboration sur The Social Network. Ainsi, le projet n’a pas tardé à affoler les cinéphiles du monde entier – en plus des rumeurs concernant les participations de Christian Bale ou Leonardo DiCaprio – avant que le réalisateur de Fight Club ne jette l’éponge tout en piquant un coup de gueule contre Hollywood. Mais sans relativiser l’indéniable talent de Danny Boyle, il est tout de même assez étonnant de le retrouver là. Et le génie visuel, comme il était facile de le prévoir, ne signe pas son film le plus impressionnant.
Ayant beau choyer ses cadres, le réalisateur de Trainspotting met pourtant son talent en sourdine. Ici, pas de caméra hyperactive ni de montage taillé au scalpel ; Steve Jobs est un film de texture, mariant le grain de son image à l’époque dans laquelle le film se déroule. Le film met en parallèle trois fragments clés de la vie personnelle et professionnelle de Steve Jobs, des débuts d’Apple aux coulisses de la cérémonie de présentation de l’iMac. Au programme de la mise en scène, il faut s’attendre à de très longues séquences de dialogues, parfois filmées en plan-séquence, ainsi qu’à une présence surabondante des champs-contre-champs. Si le tout semble uniquement présent pour satisfaire les fans, le script d’Aaron Sorkin n’oublie pas d’évoquer aussi la face sombre de Steve Jobs : son manque de gratitude envers ses collaborateurs, son refus de reconnaître sa fille, sans oublier sa mégalomanie.
Certains points du film sont en revanche à remettre en question. Même en tant que personne ne connaissant pas vraiment le personnage, il est facile de deviner que Steve Jobs n’a pas créé NeXT en 1985 dans l’attente de se faire rappeler par Apple mais qu’il voulait au contraire racheter son ancienne compagnie. On a également du mal à croire que les relations entre Steve et sa fille aient été comme elles sont montrées ici, cet à dire aussi dramatiques, exposées et presque uniquement basées sur disputes et réconciliations. Au final, Steve Jobs ressemble beaucoup à un gigantesque labyrinthe où l’on parle économie, famille, et informatique mais sans avoir la densité dramatique de The Social Network. Affublé de belles fringues, Michael Fassbender trimbale sa maigreur en soignant sa démarche, s’adonnant à une interprétation haute en couleur qui ne lui vaudra probablement pas l’Oscar du meilleur acteur cette année (il aurait également mérité d’être nommé pour Macbeth). De nombreux points auraient également pu être abordés, comme la conception d’Apple, et le développement des nombreux équipements de l’entreprise (iPod, iMac, iPhone, et les nombreux logiciels qui vont avec).
Résultat ? Le film ne déploie pas un véritable charisme cinématographique, mais une expérience clinique. Toutefois, il est difficile de ne pas jubiler devant ses séquences à l’esthétique léchée et le rythme, comme toujours chez Boyle. Mais difficile d’y voir autre chose qu’un produit de consommation sans trop de prétention qui parviendra à vous faire jubiler face aux trois kilomètres de queue qui vous permettront d’accéder à votre Apple Store. Steve Jobs n’échappe également pas au cliché du film à Oscars, même si il a le mérite de ne jamais tomber dans le convenu ou dans un bête travail impersonnel. On y trouve également une bien belle consolation : même dans le rôle de l’assistante d’un tortionnaire du boulot, Kate Winslet reste débordante de perfection, et rayonnante comme une fleur sur le fond d’écran d’un iPhone.
Kiwi_ lui attribue la note de :
En bref
Un biopic jubilatoire mais aussi un portrait déconnecté. Pur à l’extérieur, proche de la date de péremption à l’intérieur.