Vous savez quel a été mon plus grand regret d’amateur de série ? D’avoir loupé des fins de séries cultes. Je n’ai pas vécu en direct les fins des Sopranos, The West Wing, The Wire ou encore Battlestar Galactica. Et cette année, j’ai vu deux de mes séries préférées se terminer coup sur coup : Parks & Rec – en mars – et donc Mad Men en ce moment. Deux séries que j’ai prises en cours de route, mais que j’ai réussi à rattraper à temps pour voir les fins quasiment en « direct » avec un peu de marge quand même.
Concernant Mad Men, parce que c’est un peu l’objet de l’article que j’écris là, je dois avouer que la fin m’a convaincu. J’ai mis quelques heures à la digérer, à faire tourner les images dans ma tête comme les carrousels que Peggy ou Don dévoilaient aux clients de McCann ou Sterling Cooper lors des présentations clients. Des images, sur la joie de vivre, les valeurs familiales, un certain mode de vie que se doit d’incarner des marques comme Lucky Strike ou Pan Am. Une réalité déformée, fantasmée, espérée. Une réalité qui n’existe pas.
Et c’est tout le problème de ce cher Don Draper, Dick de son vrai nom mais sans la banane, lui qui s’invente une vie pour rejeter la sienne : une jolie femme, Betty, un peu « trophy wife » lors des dîners mondains et qui lui donne trois beaux enfants ; un boulot de créatif/concepteur qui lui permet de s’enfiler des whiskys par dizaine en une journée ; et des maîtresses, parce que tout le monde en a, surtout son meilleur pote, le sémillant et unique Roger Sterling. Il pense pouvoir échapper à son passé, mais ce dernier le rattrape toujours. Et inlassablement, Don tente de gommer ces défauts, de rester un personnage, son personnage, celui qu’il s’est créé sur mesure et qu’il pensait infaillible ; il se remarie, tente de rester fidèle, devient associé dans une nouvelle entreprise… Sauf que personne ne l’est vraiment. Et un jour, Don craque et Dick refait surface lors d’une présentation. Le personnage ne suffit plus à compenser la faillite psychologique de l’homme, qui sombre de plus en plus dans la dépression. Le début de la fin.
Mais la force de Mad Men ne se trouve pas que dans son personnage principal, magnifiquement interprété par Jon Hamm, mais dans toute la galerie de personnages, cadres, patrons, clients, secrétaires ou même simples connaissances, qui un jour ou l’autre croisent le chemin de Don Draper. Moi, j’en aime beaucoup deux :
- Roger Sterling, parce que je trouve que ce mec pue la classe – même si sa moustache pour ces derniers épisodes m’a fendu le cœur ;
- Peggy Olson, parce que j’adore Elisabeth Moss (c’est une bonne raison, mais j’aime aussi beaucoup son personnage hein).
Bon, les autres ne me laissent pas indifférent, notamment Joan qui prend de l’importance au fil des saisons pour finir sur une excellente et méritée séquence ; sinon, je me suis pris au jeu de détester Peter Campbell, sans doute parce que dans une série, il faut toujours détester quelqu’un.
Mad Men est un peu la série ultime en ce qui concerne le développement d’une ambiance, la reconstitution – pas exacte mais vraisemblable – d’une époque (la mort de Kennedy est vraiment marquante) et de ses thématiques – le racisme, le sexisme, la culture du viol, le mensonge, la recherche du bonheur, la vente d’idées et de concepts pour créer la demande, la gestion d’une vie professionnelle et d’une vie privée – ou la mise en scène, qui fait clairement écho au cinéma de l’époque traitée. C’est super classe, les dialogues sont toujours très bien travaillés, les acteurs sont tous géniaux (mention pour Jon Hamm, Elisabeth Moss, Christina Hendricks – qui n’est pas qu’une grosse poitrine mais une VRAIE actrice – et John Slattery (même si ta nouvelle moustache… bref)) et si il faut vraiment deux saisons pour que le show prenne de l’ampleur, ça vaut le coup de se forcer un peu, surtout pour les saisons 4 et 5. Parce que Matthew Weiner mène tranquillement sa barque et maîtrise complètement son sujet, ses personnages et même la fin de l’ensemble. Qui est un contre-pied parfait de ce à quoi tout le monde s’attendait, mais qui remplit très efficacement son rôle. Avec une fin… déroutante mais brillante.
(SPOILERS) Car cette deuxième partie de la saison 7, pour parler un peu plus longuement d’elle, conclut à mon sens parfaitement ce que fut Mad Men. On avait quitté un Don sur une vision musicale de l’au-delà, avec la perte d’une figure tutélaire, on le retrouve avec un divorce. Un nouvel échec pour Don, qui va l’entraîner dans une fuite en avant encore plus forte qu’avant. Au travail, l’histoire se répète : tentative de fusion de l’extérieur, réaction contre cela et volonté de recréer une boîte indépendante à Los Angeles cette fois. Sauf que l’époque a changé et que ce qui passait facilement en 1964 semble moins évident à faire en 1970. Les temps changent, et laissent de plus en plus Don sur la touche. Le personnage se fissure de plus en plus, jusqu’à la fin de la saison qui fait éclater complètement la psyché de l’homme.
Matthew Weiner a pris son temps, mais il retrouve avec cette deuxième partie de saison la virtuosité des saisons 4 et 5, avec des moments marquants, des dialogues toujours aussi bien écrits, voire même plus, et une sensation de fin présente de bout en bout. Et cette fin justement me parait être bonne, même si elle surprend de par son ton et sa construction. La plupart des personnages trouvent une nouvelle place dans leurs temps, comme Peter ou Joan, d’autres trouvent un équilibre, tel Peggy ou Roger. Quant à Betty et Don, finalement toujours unis, leurs destins apparaissent comme un miroir pour l’autre : l’une se meurt tandis que l’autre renaît. La scène où Don appelle Betty est d’ailleurs magnifique et extrêmement touchante – notamment quand l’on sait que son cancer des poumons a sans doute été causé par le tabac, alors que Don avait Lucky Strike comme principal client… C’est d’ailleurs ce qui apparait dans cet article de Vulture, qui explique que l’épisode final fait globalement écho au pilote de la série. Weiner a pris le risque d’une fin plutôt heureuse et fermée, et ça marche. Chapeau.
(FIN SPOILERS)
Des séries comme Mad Men, il n’y en a pas deux. Beaucoup ont essayé de l’imiter, mais la plupart s’y sont cassé les dents. Avec cette fin, se tourne une page de la télé américaine, mais on continuera à se souvenir de Mad Men encore cinq, dix ou vingt ans. Parce qu’elle fait partie des plus grandes, même si je n’ai malheureusement pas eu le temps de tout raconter ici obligation culinaire oblige.
Mais si vous hésitez encore, sautez le pas. Faites confiance à Don Draper.